Texte biographique : Édouard Fauché.
Dans une plaine riante, à 1 km N.E. de Tonneins, s'élève, triste et isolée comme l'auteur qui vint un jour l'habiter, la maison de campagne qui fait le sujet de notre dessin ; au-devant, un vaste jardin ; à l'est, un petit bois, qui a probablement donné son nom à la propriété (Bousquet), étaient alors, comme ils sont aujourd'hui, à part les distractions de la famille et de l'amitié, les seuls agréments de cette habitation.
Devenue veuve, et fatiguée du monde où elle n'était entrée qu'à regret, c'est ici, au foyer domestique, que Mme Cottin vint demander à l'étude des lettres et au silence de la solitude une consolation à la douleur que lui faisait éprouver la perte d'un époux tendrement aimé. Que d'admirateurs de Claire d'Albe ou d'Elisabeth sont passés indifférents devant cette habitation de Bousquet, sans se douter que c'est là que Mme Cottin a jeté pour la première fois ses essais sur le papier ! Que de jeunes filles sont venues s'asseoir, rêveuses sur la pelouse de ce bois, sans songer que le chêne qui leur prêtait un frais ombrage a peut-être vu commencer les belles pages du roman de Mathilde, et ces scènes émouvantes où, par un rare mais heureux accord, le cœur et l'imagination ont mêlé le langage de la plus vive tendresse aux accents de la plus vive passion !
Mme Cottin (Marie-Sophie Risteau), née à Tonneins dans la religion réformée, le 23 mars 1773, était, de l'aveu même de ses critiques, une des femmes les plus bienfaisantes et les plus érudites de son temps. Ses parents ayant établi à Bordeaux une importante maison de commerce, c'est dans cette dernière ville que la jeune Sophie fit son éducation sous les yeux de sa mère, femme très-instruite, qui, tout en veillant à la culture de l'esprit de sa fille, ne négligeait pas celle de son cœur. Sérieuse et mélancolique dans son enfance, elle conserva toute sa vie un goût prononcé pour la retraite et cet amour du sombre et du tragique dont elle a laissé des traces dans presque tous ses ouvrages. A peine âgée de dix-sept ans, Sophie fut accordée en mariage à un riche banquier de Paris, M. Cottin, et elle sortit ainsi brusquement de la retraite et des habitudes paisibles de sa famille pour entrer dans le tourbillon du monde et satisfaire aux convenances exigées par une union qui la mettait en rapport avec la meilleure société de la capitale. Recherchant toujours la retraite, s'éloignant le plus possible des plaisirs, il ne lui en fallut pas beaucoup pour les fuir sans regrets après la mort de M. Cottin, survenue au bout de trois années de mariage.
N'ayant pas eu d'enfants, elle se vit dépossédée de la fortune de son époux, de sa maison, un des plus beaux hôtels de Paris ; et si elle en éprouva quelques regrets, c'était moins pour elle que pour les malheureux dont elle était la Providence.
C'est alors que Mme Cottin tourna ses regards vers Tonneins, et vint chercher dans le pays natal des distractions à ses chagrins. C'est à Bousquet qu'elle se retira, et c'est là, au milieu d'une société de parents et d'amis, qu'elle révéla pour la première fois son talent d'écrivain, qu'elle avait jusqu'alors caché à tout le monde, hormis à sa cousine, Mme V... qui entretenait avec elle une correspondance intime. Pressée de mettre au jour quelqu'une de ses œuvres, Mme Cottin s'y refusa longtemps, et il ne fallut rien moins que le désir de secourir une amie dans le malheur pour l'engager à publier son premier roman ; c'est ainsi, sous les auspices de l'amitié et de la bienfaisance, que Claire d'Albe, parut en 1798. Deux ans plus tard, et encore pour une œuvre de bienfaisance, elle écrivit Malvina, et en consacra le produit au soulagement d'un proscrit de la révolution ; dans cette œuvre, comme dans la première, elle avait gardé l'anonymat, comme si elle eût craint que son nom eût enlevé un mérite à son bienfait. Ce ne fut qu'en 1802, dans le roman d'Amélie de Mansfield, qu'elle mit son nom à des ouvrages qui devait être accueillis du public avec une faveur si marquée. Mathilde et Malek-Adel, publiés en 1805, achevèrent la réputation littéraire de l'auteur. "Une âme de feu, dit Mme d'Hatoum, avait conçu ces magnifiques scènes du désert : une plume de feu les écrivit".
Après avoir dépeint les transports du cœur humain et les combats de l'amour avec l'honneur, la religion, le devoir, il était juste que Mme Cottin dépeignît à son tour l'amour filial dans tout ce qu'il a de plus beau ; c'est ce qu'elle fit dans Elisabeth, le plus estimé de tous ses romans, où elle fait briller cette vertu dans son éclat le plus pur.
Pendant ce temps, Mme Cottin faisait de fréquents, voyages, tantôt à Paris pour faire imprimer ses ouvrages, tantôt en Allemagne, à Vienne, à Berlin, mais, après ces excursions lointaines, elle revenait toujours avec plaisir au pays de ces ancêtres, dans cette retraite de Bousquet où elle passait, disait-elle, de si heureux jours. Elle avait commencé un ouvrage sur l'éducation, lorsque la mort la surprit à Paris, le 25 août 1807, à l'âge de trente-quatre ans. Ses amis perdirent un cœur aimant et dévoué, les pauvres un soutien généreux, et les lettres une plume et un talent inimitables.