Ce texte sur la résidence Soleil d'Automne et sa fondatrice Blenache Peyron est signé Alain Glayroux. Il a été publié en 2005 par La Mémoire du Fleuve (butlletin nº 37).
Le promeneur qui laisse guider ses pas vers Grandjean, en passant par l'Avenue Blanche Peyron, apercevra à 2 km de Tonneins, une maison de retraite appelée "Soleil d'Automne".
Cette bâtisse située sur le lieu-dit "Escoutet" retrouve vie au début du XXème siècle, elle est vendue à la Société de Catéchumat pour les jeunes Protestants Disséminés et sera rachetée en 1942 par l'Armée du Salut. D'après Lagrange Ferrègues, c'est un dénommé Georges Escoutet qui est le créateur du domaine. Dans les registres de reconnaissances faites au Seigneur de Tonneins-Dessous, au début du XVIème, le 28 décembre 1528 le sieur Escoutet Georges fait une reconnaissance pour une maison et une boutique qu'il possède au Gal de Cambes. D'après cet auteur la lignée des "Escoutet" fait partie de la bourgeoisie tonneinquaise très fortunée. Ils possèdent des terres, des vignes, des maisons, notamment dans la paroisse de Saint Etienne de Gajouffet, à Macheteaux, à la Gautrenque…
Cette lignée comprendra des hommes d'armes, notaires, etc. Nous ne nous attarderons pas sur la vie tumultueuse de Pierre Escoutet "relaps" et de Marguerite Escoutet dont les caresses d'amour lui valurent quelques démêlées avec la justice en ce début d'année 1693.
Nos travaux porteront essentiellement sur cette maison de retraite et sur Blanche Peyron. Sur la plaque annonçant l'Avenue (nous ne commenterons pas le choix de donner à ce chemin vicinal le terme "d'Avenue") nous lisons "Blanche Peyron 8 mars 1867-21 mai 1933", fondatrice d'Escoutet, mais qui était donc ce personnage ? Nous en reparlerons.
La maisonde maître est vendue pour la somme de 20 000 francs, le 25 juillet 1906 à M Alexandre Chopis, Président de la Société du Catéchumat pour les jeunes protestants disséminés ou moralement abandonnés, pour créer un lieu d'instruction.
C'est grâce à un échange entre M.M et Mlle Drême (Jean Hilaire Drême d'Escoutet, Guillaume Eugène Drême et Louise-Victoire-Eugénie Drême, tous trois rentiers) et M. Jean Henry Lavigne (et de dame Marie Lafiteau) rentiers eux aussi, en date du 4 septembre 1829, que nous pouvons faire le tour du propriétaire :
Le bien d'Escoutet, situé dans ladite commune et canton de Tonneins, composé de maison de maître, de prêches, chais, écuries, jardins, vergers, vignes, terres labourables, prés, bois appartenances et dépendances du dit bien d'Escoutet, dites de la Touge et d'Escoutet, avec leurs édifices et bâtiments, capital de bétail, charrettes, mobiliers rustiques, semences de toutes espèces… La contenance du dit bien d'Escoutet est d'environ quarante et un hectare et quelques ares dans la commune de Varès.
Ce bien passe dans les mains de la famille Drême dont Jean-Pierre avocat au Parlement. En 1829, elle appartient à M. et Mme Lavigne.
Au début du XX ème en 1902, la fille de M et Mme Lavigne, sans héritier, nomme Mme Valentin, Doche et Bru légataires universels qui héritent de la maison de maître et de deux propriétés. Elle fait un legs de deux mille francs à l'Hospice de Tonneins.
C'est en 1926 que le projet d'un "Palais pour Vieillards" voit le jour.
Dans le numéro 1248-du 15 septembre 1928- de "En Avant", bulletin hebdomadaire de l'Armée du Salut, le Capitaine L. Dellebach retrace la genèse :
"… Un nouveau chaînon dans l'œuvre de l'Armée du Salut, le Commissaire assisté de la Commissaire en chef, du Secrétaire des Œuvres Sociales, inaugure "Escoutet" le palais des vieillards.
C'était il y a deux ans par une journée pluvieuse et triste, personne n'eut pensé que ce jour-là marquait l'entrée de l'Armée du Salut à Tonneins. Ont eu pu voir simplement un homme portant une lourde valise, revêtu d'un uniforme, inconnu dans le pays tonneinquais, longeant depuis la gare la longue route de Tonneins à Grandjean. Peu après le passage à niveau de la grande ligne, il pose à terre le fardeau dont il est chargé, il regarde autour de lui. Le ciel sombre est couvert de nuages. Le regard du voyageur s'anime, comme attiré par une lumière mobile, là-bas devant lui, dans les grands arbres d'une vaste propriété où l'on débusque une ancienne maison : c'est Escoutet, qui l'appelle. Escoutet abandonné qui d'une voix suppliante offre à l'apôtre au service de tous, ses murs, ses chants d'oiseaux, ses vergers, afin que malgré son si lointain passé, elle soit utile encore, dispensatrice de beauté et semeuse d'espérance. Le voyageur a compris sans hésiter, poussé par les forces nouvelles d'une grande vision, il reprend son fardeau, sa course interrompue. Il disparaît peu après dans les arbres touffus, se frayant un passage à travers les épars, pour dire à Escoutet qu'il a entendu sa voix qu'il y répond. Il y a deux ans de cela.
Aujourd'hui par un soleil radieux, on fête la renaissance de l'antique maison, on fête le rêve réalisé, on fête la joie de donner beaucoup aux vieillards, où un homme heureux, une maison d'amour, qui deviendra pour beaucoup la véritable aurore de la vie. Qu'est-il de plus doux qu'un dimanche matin de fête, plein de soleil et de chants, dans l'exquise fraîcheur d'une campagne splendide ? On se réunit dans l'orangerie qui est improvisée salle de réunions. Les gens du pays sont venus nombreux et la petite salle ne peut contenir tous les arrivants qui viennent de partout. Les Commissaires, le Secrétaire en chef, sont entourés du Brigadier Dejonghe, du Major Vanderkam, des Capitaines d'Etat-Major Peyron et Fromentin, des Commandants Albo et Balle, des Enseignes Cosendai, Larrieu, Poussol, des Capitaines Dellenbach et Gazan, du Lieutenant Drevon.
"… J'ai eu faim, vous m'avez donné à manger, j'ai eu soif, vous m'avez donné à boire…" Ces paroles immortelles que redit le commissaire. Oh puissent-elles être dites un jour par le grand Maître alors qu'il regardera Escoutet ; puissent-elles nous pousser toujours vers ce qui est meilleur. Escoutet par son esprit d'amour doit devenir une semeuse d'amour. N'est-ce pas là la chose la plus grande qui soit au monde ?
L'après-midi apporte avec lui une foule nombreuse venue de partout. Elle passe de salle en salle, franchit les escaliers, longe les corridors comme un flot mouvant ; elle admire la maison ressuscitée, elle se réjouit avec elle et lorsque 4 heures arrivent sous les tilleuls séculaires, elle s'assemble pour écouter la réunion de l'Armée du Salut. Une estrade est dressée, véritable estrade de fête avec sa verdure et ses fleurs. Ils sont là peut-être 700 auditeurs, qui écoutent et dont le cœur vibre de sympathie et d'approbation.
Le vent léger qui frôle les tilleuls les fait chanter doucement, et quand toutes les voix humaines s'élèvent pour aller jusqu'à Dieu, il y a une grande et splendide harmonie.
Les paroles de bienvenue que prononce le brigadier Dejonghe, sont chaudes. Le commissaire dit sa joie de voir un chaînon de plus dans l'œuvre de l'Armée du Salut, verse parfois des larmes de souffrance, c'est pour que d'autres recueillent de la joie.
M. Jacquet remercie au nom du Comité des Protestants Disséminés qui nous fit l'offre généreuse d'Escoutet.
M. le pasteur de Tonneins, prend à son tour la parole. Il fait ressortir aux yeux de l'assistance, le but suprême de l'Armée du Salut, qui en soignant le corps veut avant tout sauver l'âme.
Le commissaire termine cette heure de charme par ces émouvantes paroles d'appel du sauveur à la consécration de la vie. L'écho s'en va redire chaque parole aux murailles blanches de la cour d'entrée. Il caresse les arbres et les fleurs. N’a-t-il pas d'ailleurs donné son nom délicieux à cette terre si douce d'Escoutet.
Le soir descend lentement. La campagne devient silencieuse, déserte…
Une causerie donnée par le brigadier Dejonghe, réunit le soir 250 personnes à l'Athénée de Tonneins. Le Maire qui ouvre la conférence, a des paroles aimables de bienvenue pour l'Armée du Salut. Pendant une heure, l'auditoire écoute celui qui parle avec tant d'amour et de charme sur l'œuvre aimée qu'il représente. Et l'Armée du Salut, l'inconnue d'hier devient l'amie de tous.
Oh, puisse-t-elle être le flambeau qui rayonnera dans ces douces campagnes de France, celle qui restera fidèle à la vision du pèlerin, la grande semeuse d'espérance et de vie, inspiré par l'incommensurable amour du Maître…"
C'est donc en octobre 1928 qu'est inauguré ce "Palais des Vieillards" très vite dénommé le "Soleil d'Automne". Inauguration à laquelle assiste Blanche Peyron que la maladie emportera 5 ans plus tard.
Blanche Peyron est née le 8 mars 1867 à Lyon, fille de Napoléon Roussel, pasteur évangéliste et de Mary Stuart. Blanche est la cadette de 5 enfants.
Mais laissons les auteurs nous la présentent :
… Bientôt la famille Roussel s'établit à Genève. Blanche avait onze ans lorsqu'un mois après la mort de son père, on la trouva seule au fond du jardin, la figure mouillée, un sanglot dans la gorge, des yeux tragiques, sous ses frisons de poupée brune.
-Qu'as-tu ? Pourquoi pleures-tu ?
-Je veux retourner dans mon pays. Je veux faire quelque chose pour la France…
… C'est lentement en non sans hésitation que l'âme de Blanche comprendra la nécessité d'un total abandon à Dieu et s'orientera vers l'apostolat. Peu à peu ses contacts avec les salutistes vont ouvrir la voie à cette entière consécration.
Le moment décisif sera peut-être la soirée du 9 février 1886 où, dans une réunion, la capitaine Lucy Jones citera deux versets du livre de Job qui deviendront la source, le beau secret, la force profonde de toute une vie de renoncement :
Jette l'or dans la poussière,
L'or d'Ophir parmi les cailloux des torrents ;
Et le tout puissant sera ton or,
Ton argent, ta richesse (JOB 22, 24,25)
… C'est donc l'entrée à l'École Militaire de Paris, en 1886, pour l'apprentissage d'officière qui ne durera pas plus de sept semaines. Le 7 novembre, en effet, la toute fraîche lieutenante Roussel arrive à Lyon. D'autres ordres de marche ne tarderont pas à suivre, notamment pour Niort et Zurich, la France et la Suisse formant à l'époque un seul territoire salutiste… Puis en 1887, elle est appelée à Paris, comme secrétaire et aide de camp de la Maréchale…
…Tout de suite associée à la rédaction d'En Avant, Blanche en aura, deux ans plus tard, l'entière responsabilité en sus de cent autres occupations…
… Souvent les rampes de Belleville voient passer Blanche et son amie Nadine Schindler. Elles filent vers les maisons ouvrières…
… Elle est du même sentiment que sa chère Evangéline Booth, qui fut l'amie de sa vie et qui, de Londres, lui écrivait : "Ces tournées m'éreintent, mais tout plutôt que de n'avoir aucune œuvre à faire…"
… Le 10 décembre 1889, conférence de la Maréchale au Casino de Saint-Pierre, à Genève. Dans la salle se trouve un capitaine de 19 ans, fils d'un riche commerçant du Midi converti au salutisme. Albin Peyron – c'est son nom- est un grand jeune homme de bonne mine qui a déjà bien gagné ses éperons dans le combat salutiste.
Qui est cette officière ? demande-t-il.
C'est la capitaine d'état-major Roussel, la secrétaire de la Maréchale.
Ce fut le coup de foudre. Le 30 avril 1891, date de leur mariage, marque pour Albin et Blanche Peyron, le début d'une parfaite union, d'une association de tous les instants dans la guerre du salut…
… Peu de semaines après leur mariage, la Maréchale décide de faire un voyage en Amérique afin de collecter des fonds pour l'œuvre en France. Or elle a besoin de sa secrétaire –et pas question que le jeune époux soit du voyage ! Sans discussion, Blanche et Albin acquiescent à ce projet. Dans la suite comme maintenant, ce sera toujours pour eux "Dieu premier servi".
Promus au grade de majors, Blanche et Albin sont nommés, en 1894, à la direction de la Division romande….
… En 1906 les Peyron sont nommés chefs de l'Armée du Salut en Italie…
… Ils vont recevoir leur nomination de chefs pour la Suisse romande et s'installer, en 1911, à Lausanne…
… Mai 1917, important ordre de marche : les colonels Peyron sont transférés à Paris, comme chefs de l'Armée du Salut outre-Jura…
… "Cinq mille clochards dorment sous les ponts de Paris !". A cette constatation bouleversante, réaction immédiate d'Albin Peyron : "Il faut faire quelque chose". Et l'on commence l'œuvre des soupes de minuit : chaque nuit d'hiver, une charrette, poussée par deux ou trois salutistes, parcourt les quais, distribuant aux malheureux des bols de soupe fumante. Pour ces frères dénués s'ouvrira aussi l'Asile flottant, sur une péniche, ou plutôt un bateau de Pierre construit pendant la guerre pour ravitailler Paris…
… Blanche Peyron apprend avec horreur qu'on ne compte à Paris que "mille lits honnêtes pour cent mille femmes isolées".. De nouveau, il faut faire quelque chose, et ce quelque chose, ce sera le Palais de la Femme, vaste édifice de la rue Charonne…Mais ce n'est pas suffisant …
… L'architecte Le Corbusier se met à l'œuvre, et bientôt, sur un terrain vague du 13ème arrondissement, voici que se dresse un immeuble extraordinaire, en forme de navire, destiné au sauvetage de centaines, de milliers de naufragés !
… Lorsqu'en décembre 1933, le Général Higgins, en présence du Président de la République française, inaugure à Paris la Cité de Refuge, qui est à ce jour encore l'une des plus vastes institutions salutistes du monde, il y avait une grande absente : Blanche Peyron qui, depuis plusieurs mois déjà, reposait dans la tombe…
… Au flanc de la montagne dominant la verdoyante vallée du Rhône, le château de Saint Georges dresse sa belle façade parmi les chênes verts de l'Ardèche. Cette demeure est un lieu salutiste où Blanche aimait à revenir. Tout près de là, creusé dans le roc, son tombeau regarde le soleil levant, face à un paysage de forêts, de vergers, de vignes, bordé à l'horizon par l'étincelante chaîne des Alpes…
Avant de refermer ces quelques pages sur Escoutet, nous laisserons le mot de la fin à l'auteur du livre.
"Une fille éclatante et florissante, éprise d'élégance, de bon ton, de délicatesse, qui tout à coup se plante sur la tête un énorme cabriolet en auvent, arbore sur sa poitrine une inscription et "s'en va-t’en guerre", munie d'une bible et d'un tambourin…"
C'est par ces mots que Raoul Gout introduit l'héroïne de son livre : "Une Victorieuse Blanche Peyron".
Remerciements de l'auteur du texte
Mes très sincères remerciements :
- Au Major Robert Muller, Directeur de la Communication & Ressources de la Fondation de l'Armée du Salut, qui nous a communiqué et donné l'autorisation de publier les photos qui illustrent ce texte,
- A Mme Valérie Vadot, Assistante photothèque ainsi que Mme Marine Guillard, Rédactrice du Fil, Département Publication / Édition, pour leur aide lors de mes recherches effectuées à la Fondation de l'Armée du Salut à Paris.